mardi 28 juillet 2015

Patrimoine




La « folie » architecturale du vignoble français


Au Château Pédesclaux, à Pauillac, le nouveau chai est signé Jean-Michel Wilmotte est basé sur le jeu de la transparence. DR

Un vent de frénésie architectonique souffle sur les bords de la Gironde et de la Dordogne. Et si cette route des vins devenait la nouvelle Vallée des rois, attribut porté depuis toujours par la vallée de la Loire ? Il est vrai que Bordeaux a déjà ces châteaux, non pas considérés comme le Saint des Saints de l’esprit français, mais plutôt celui de l’esprit bachique. Du temps des rois de France, la Loire résumait le génie de notre nation, ses architectures travaillées, ses vins et sa gastronomie... Aujourd’hui ce génie, ne le devrait-on pas à quelques propriétaires audacieux qui investissent dans leur chai, ces bâtiments techniques réservés à la vinification.
Certes, les domaines doivent s’adapter technologiquement et développer l’œnotourisme, le nouvel eldorado. Mais certains vont plus loin pour augmenter leur notoriété. Cette frénésie concerne de nombreux Grands Crus qui font appel aux stars de l'architecture : Mario Botta, Norman Foster Alberto Pinto, Christian de Portzamparc, Jean Nouvel ou Jean-Michel Wilmotte. Et même du design avec Philippe Starck et Patrick Jouin !
C’est sur la Rive gauche que l’on trouve le plus de prouesses architecturales. Au Château Pédesclaux, à Pauillac, le nouveau chai est signé Jean-Michel Wilmotte est basé sur le jeu de la transparence. Le cuvier aux murs de verre dévoile les cuves, véritables colonnes soutenant le toit du bâtiment. Même le château est enchâssé dans un écrin de verre. L’agencement intérieur place les visiteurs au cœur de la transformation de la vigne en vin. Au Château Cos d’Estournel, à Saint-Estèphe, c’est le choix d’un nouveau chai totalement intégré dans son environnement originel qui a été voulu par le propriétaire Michel Reybier. Une belle greffe architecturale : adossés à cette folie orientale, chais et cuviers ont été refaits dans les gabarits des anciens bâtiments. De l’extérieur, Jean-Michel Wilmotte a choisi la discrétion. Rien ne dévoile un outil de travail œnologique ultra-pointu. Quant au célèbre Château Margaux, à Margaux, il a confié à l’occasion de son bicentenaire ses travaux d’agrandissement à l’architecte anglais Lord Norman Foster. L’inauguration a lieu ce mois. Construit au début du XIXe par Louis Combes, le domaine n’avait pas connu un tel chantier depuis. Le nouveau chai, seul bâtiment neuf visible de l’extérieur, repose sur une structure très contemporaine habillée de verre.
Autres projets en cours, Château Bechevelles à Saint-Julien et Château Les Carmes Haut-Brion, à Pessac-Léognan. À Beychevelle, surnommé le "Versailles of the Médoc" pour son architecture et de ses jardins à la française, une partie des locaux va être rasée pour creuser un trou abritant le chai, chapeauté par une cuverie. Pas de pierres blondes ni d’épais murs. Mais de grandes baies vitrées laissant passer la lumière et une structure alliant le métal et le bois. Un écrin de transparence donc, qui abritera les cuves, pour la plupart de forme tronconique. Leur remplissage fonctionnant par gravité, comme c’est désormais la norme dans les Grands Crus. L’ensemble est l’œuvre du cabinet bordelais BPM Architectes qui a à son actif Cos d’Estournel, Angelus, Bouscaut ou Couhins.
Plus au sud, à Pessac-Léognan, Château Les Carmes Haut-Brion a opté pour un ensemble comportant un nouveau cuvier, un chai d’élevage et des espaces réceptifs. Le designer est Philippe Starck et l’architecte, Luc Arsène-Henry. Les matériaux sont en béton matricé, verre et métal. Ils seront mis en valeur par des jeux de lumière et une structure épurée de tout point porteur. La forme du bâtiment, entouré d’eau, rappelle les bateaux qui transportaient le vin de Bordeaux aux quatre points du monde pendant des siècles.
Côté Rive droite, sur le morne plateau de Saint-Emilion, se dressent trois monuments qui réveillent un paysage au relief ennuyeux. Le premier chai spectaculaire construit dans le bordelais est Château Cheval Blanc. Les propriétaires, Bernard Arnault et le baron Albert Frère, ont demandé à Christian de Portzamparc de le réaliser. Les lignes sont comme des voiles de béton qui s’envolent au-dessus du vignoble depuis 2011. « Mon souci a été de trouver un équilibre avec le paysage », commente l’architecte qui décrit le chai comme flottant en douceur sur les vignes. « En montant, nous découvrons la douceur, l’ampleur du paysage millénaire et de ces lignes tracées par l’homme. »
Son voisin, Château La Dominique, est beaucoup plus contrasté. Ce n’est pas une simple œuvre d’art explique Jean-Claude Fayat, le propriétaire : « Nous sommes partis d'un besoin technologique et c'est aussi un outil marketing. C'est l'aboutissement d'un travail commencé dans les vignes. » Pas seulement. Doté de nouvelles installations oenotouristiques, La Dominique reçoit les amateurs de vin et de gastronomie. Sur le toit du chai, le restaurant « La Terrasse Rouge » domine le vignoble comme une grande table d’orientation. Pour Jean Nouvel, l’architecte du musée du quai Branly, « C’est une évocation de la beauté du vin dans le soleil, avec six nuances de rouge sur le bâtiment, et en écho, les cuves et la terrasse au-dessus, ouvertes sur la mer verte des vignes. »  L’effet est étonnant : ses murs rouges, ou sombres par moments, réagissent à la lumière changeante des saisons. En un an, La Dominique a accueilli près de 35 000 visiteurs. 
Au Château Soutard, le nouveau chai est comme à Margaux intégré dans l’environnement. Mais, sous terre, l’architecte bordelais Fabien Pédelaborde mène des travaux pharaoniques dont les matériaux, entre calcaire, béton, bois et pierre, respectent le site géologique. Et le Château Montlabert lance, l’an prochain ses grands travaux avec Patrick Jouin comme architecte/designer. Quant au Château Faugères, le chai monumental dessiné par Mario Botta et implanté en haut des vignes évoque une cathédrale. Pour l’architecte, « le projet établit une comparaison entre l’architecture « rationnelle » bâtie par l’homme et l’évolution « naturelle » du paysage pour un enrichissement réciproque ».

En Bourgogne, l'audace revient
à Philippe Pascal, du domaine
du Cellier aux Moines. DR
Face à ce qui peut paraitre comme une « folie des grandeurs » de Bordeaux, la Champagne, bien qu’en phase de modernisation depuis longtemps, ne peut rivaliser. La fièvre n’a pas encore gagné le Rhône et la Bourgogne. Quoique, à Givry, l’audace revient à Philippe Pascal, du domaine du Cellier aux Moines. Pour rester dans la comparaison religieuse, son nouveau chai d’obédience cistercienne fait figure d’exception. Le bâtiment domine Givry comme une abbaye protectrice dont la spiritualité est plus liée à Bacchus. Le projet est de l’architecte bourguignon Gilles Gauvain. Le parti pris architectural allie simplicité, pureté des lignes, lumière naturelle et fonctionnalité. Ce nouveau chai valorise l'appellation de Givry et de la Côte Chalonnaise.