La « folie » architecturale du vignoble français
Au Château Pédesclaux, à Pauillac, le nouveau chai
est signé Jean-Michel Wilmotte est basé sur le jeu de la transparence. DR
Un vent de frénésie architectonique souffle sur les
bords de la Gironde et de la Dordogne. Et si cette route des vins devenait la
nouvelle Vallée des rois, attribut porté depuis toujours par la vallée de la
Loire ? Il est vrai que Bordeaux a déjà ces châteaux, non pas considérés
comme le Saint des Saints de l’esprit français, mais plutôt celui de l’esprit
bachique. Du temps des rois de France, la Loire résumait le génie de notre
nation, ses architectures travaillées, ses vins et sa gastronomie...
Aujourd’hui ce génie, ne le devrait-on pas à quelques propriétaires audacieux
qui investissent dans leur chai, ces bâtiments techniques réservés à la
vinification.
Certes, les domaines doivent s’adapter
technologiquement et développer l’œnotourisme, le nouvel eldorado. Mais
certains vont plus loin pour augmenter leur notoriété. Cette frénésie concerne
de nombreux Grands Crus qui font appel aux stars de l'architecture : Mario
Botta, Norman Foster Alberto Pinto, Christian de Portzamparc, Jean Nouvel ou
Jean-Michel Wilmotte. Et même du design avec Philippe Starck et Patrick Jouin !
C’est sur la Rive gauche que l’on trouve le plus de
prouesses architecturales. Au Château Pédesclaux, à Pauillac, le nouveau chai
est signé Jean-Michel Wilmotte est basé sur le jeu de la transparence. Le
cuvier aux murs de verre dévoile les cuves, véritables colonnes soutenant le
toit du bâtiment. Même le château est enchâssé dans un écrin de verre.
L’agencement intérieur place les visiteurs au cœur de la transformation de la
vigne en vin. Au Château Cos d’Estournel, à Saint-Estèphe, c’est le choix d’un
nouveau chai totalement intégré dans son environnement originel qui a été voulu
par le propriétaire Michel Reybier. Une belle greffe architecturale :
adossés à cette folie orientale, chais et cuviers ont été refaits dans les
gabarits des anciens bâtiments. De l’extérieur, Jean-Michel Wilmotte a choisi
la discrétion. Rien ne dévoile un outil de travail œnologique ultra-pointu.
Quant au célèbre Château Margaux, à Margaux, il a confié à l’occasion de son
bicentenaire ses travaux d’agrandissement à l’architecte anglais Lord Norman
Foster. L’inauguration a lieu ce mois. Construit au début du XIXe par Louis
Combes, le domaine n’avait pas connu un tel chantier depuis. Le nouveau chai,
seul bâtiment neuf visible de l’extérieur, repose sur une structure très
contemporaine habillée de verre.
Autres projets en cours, Château Bechevelles à
Saint-Julien et Château Les Carmes Haut-Brion, à Pessac-Léognan. À Beychevelle,
surnommé le "Versailles of the Médoc" pour son architecture et de ses
jardins à la française, une partie des locaux va être rasée pour creuser un
trou abritant le chai, chapeauté par une cuverie. Pas de pierres blondes ni
d’épais murs. Mais de grandes baies vitrées laissant passer la lumière et une
structure alliant le métal et le bois. Un écrin de transparence donc, qui
abritera les cuves, pour la plupart de forme tronconique. Leur remplissage
fonctionnant par gravité, comme c’est désormais la norme dans les Grands Crus.
L’ensemble est l’œuvre du cabinet bordelais BPM Architectes qui a à son actif
Cos d’Estournel, Angelus, Bouscaut ou Couhins.
Plus au sud, à Pessac-Léognan, Château Les Carmes
Haut-Brion a opté pour un ensemble comportant un nouveau cuvier, un chai
d’élevage et des espaces réceptifs. Le designer est Philippe Starck et
l’architecte, Luc Arsène-Henry. Les matériaux sont en béton matricé, verre et
métal. Ils seront mis en valeur par des jeux de lumière et une structure épurée
de tout point porteur. La forme du bâtiment, entouré d’eau, rappelle les
bateaux qui transportaient le vin de Bordeaux aux quatre points du monde
pendant des siècles.
Côté Rive droite, sur le morne plateau de
Saint-Emilion, se dressent trois monuments qui réveillent un paysage au relief
ennuyeux. Le premier chai spectaculaire construit dans le bordelais est Château
Cheval Blanc. Les propriétaires, Bernard Arnault et le baron Albert Frère, ont
demandé à Christian de Portzamparc de le réaliser. Les lignes sont comme des
voiles de béton qui s’envolent au-dessus du vignoble depuis 2011. « Mon
souci a été de trouver un équilibre avec le paysage », commente
l’architecte qui décrit le chai comme flottant en douceur sur les vignes. « En
montant, nous découvrons la douceur, l’ampleur du paysage millénaire et de ces
lignes tracées par l’homme. »
Son voisin, Château La Dominique, est beaucoup plus
contrasté. Ce n’est pas une simple œuvre d’art explique Jean-Claude Fayat, le
propriétaire : « Nous sommes partis d'un besoin technologique et
c'est aussi un outil marketing. C'est l'aboutissement d'un travail commencé
dans les vignes. » Pas seulement. Doté de nouvelles installations
oenotouristiques, La Dominique reçoit les amateurs de vin et de gastronomie.
Sur le toit du chai, le restaurant « La Terrasse Rouge » domine le
vignoble comme une grande table d’orientation. Pour Jean Nouvel, l’architecte
du musée du quai Branly, « C’est une évocation de la beauté du vin dans le
soleil, avec six nuances de rouge sur le bâtiment, et en écho, les cuves et la
terrasse au-dessus, ouvertes sur la mer verte des vignes. » L’effet est étonnant : ses murs rouges,
ou sombres par moments, réagissent à la lumière changeante des saisons. En un
an, La Dominique a accueilli près de 35 000 visiteurs.
Au Château Soutard, le nouveau chai est comme à
Margaux intégré dans l’environnement. Mais, sous terre, l’architecte bordelais
Fabien Pédelaborde mène des travaux pharaoniques dont les matériaux, entre
calcaire, béton, bois et pierre, respectent le site géologique. Et le Château
Montlabert lance, l’an prochain ses grands travaux avec Patrick Jouin comme architecte/designer.
Quant au Château Faugères, le chai monumental dessiné par Mario Botta et
implanté en haut des vignes évoque une cathédrale. Pour l’architecte, « le
projet établit une comparaison entre l’architecture « rationnelle » bâtie par
l’homme et l’évolution « naturelle » du paysage pour un enrichissement
réciproque ».
En Bourgogne, l'audace revient à Philippe Pascal, du domaine du Cellier aux Moines. DR |
Face à ce qui peut paraitre comme une « folie
des grandeurs » de Bordeaux, la Champagne, bien qu’en phase de
modernisation depuis longtemps, ne peut rivaliser. La fièvre n’a pas encore
gagné le Rhône et la Bourgogne. Quoique, à Givry, l’audace revient à Philippe
Pascal, du domaine du Cellier aux Moines. Pour rester dans la comparaison
religieuse, son nouveau chai d’obédience cistercienne fait figure d’exception.
Le bâtiment domine Givry comme une abbaye protectrice dont la spiritualité est
plus liée à Bacchus. Le projet est de l’architecte bourguignon Gilles Gauvain. Le
parti pris architectural allie simplicité, pureté des lignes, lumière naturelle
et fonctionnalité. Ce nouveau chai valorise l'appellation de Givry et de la
Côte Chalonnaise.