jeudi 12 novembre 2015

DOSSIER Boeuf wagyu



Le bœuf wagyu, un met impérial 

Voilà de quoi redonner le goût de la viande rouge aux Français. Du bœuf élevé façon grand cru, du bœuf de luxe qui donne une viande fondante au goût très prononcé. Le bœuf wagyu commence tout juste à trouver une place dans les boucheries françaises et sur les tables des chefs les plus innovants. Ce bovin, d’une robe noire comme le jais, d’un superbe éclat, est issu du Japon. Il fait partie de l'appellation Wagyu, un terme qui englobe plusieurs races et qui résulte de la juxtaposition de deux mots : wa (Japon) et gyū (bœuf). Historiquement, ces races se sont séparées en plusieurs lignées génétiques (rouges et noires) à cause du relief et de l'impossibilité de faire voyager du bétail dans un pays féodal souvent en guerre. Plusieurs lignées sont à l'origine de l’appellation : Tajiri ou Tajima, de la préfecture de Hyōgo (où se trouve Kobé, la fameuse ville qui produit des Tajima gyū d'où est issu le fameux bœuf de Kobé), Fujiyoshi ou Shimame, de la préfecture d'Okayama et Tottori et Kedaka, de la préfecture de Tottori.
La grande différence entre le bœuf de Kobé et les races wagyu est que le premier est exclusivement élevé à Kobé, d’où son appellation. Sa pureté génétique est sans égale. Il fut, à l'origine, élevée pour sa puissance et sa force dans les travaux agricoles. Une véritable orfèvrerie bovine entoure son élevage dès sa naissance. Il est issu d’un apprentissage long et rigoureux dont la tradition remonte au XIIIe siècle. Pourtant, sa consommation n’est autorisée que depuis 140 ans dans un Japon traditionnellement bouddhiste. Pourtant, pendant la période Edo (1603-1867), le Shogun et les lords féodaux en mangeaient en raison de ses « propriétés médicinales ». Aujourd’hui, elle est devenue la viande officielle de la Maison Impérial.
En France, comme au Japon d’ailleurs, une gastronomie aristocratique issue de la cuisine de Cour s’est instaurée parallèlement à une gastronomie plus populaire. Royale ou impériale, cette cuisine raffinée privilégie la sophistication. Elle utilise des produits rares et couteux et fait appel à des processus de travail complexes acquis au cours de l’histoire et entretenus par la tradition. C’est ce caractère extraordinaire qui justifie que l'on considère aujourd’hui le bœuf de Kobé comme un produit de luxe. Un bœuf « haute couture » qui a toujours été réservé à une élite, parce que très cher à produire.
Le boucher Yves-Marie Le Bourdonnec, la star des étals parisiens qui fournit les célèbres restaurants pour viandards Beef Club et Blend, s’est rendu plusieurs fois au Japon. Il raconte que « dans ce pays la viande de bœuf est un aliment rare et très précieux, l’animal était jadis le compagnon de travail du producteur de riz et son bas de laine pour ses vieux jours. Plus il était gras et plus il avait de valeur. Donc ils le nourrissaient avec attention. Un peu comme le cochon qui mangeait les restes ménagés dans la France des années ».
« Comme le porc, le bovin normalement herbivore ruminant est rendu monogastrique, car, sur l’ile ultra urbanisée, les vertes prairies n’existent pas. Cette particularité insulaire connaît aujourd’hui les contraintes que nous vivrons dans un siècle quand nous serons près de 120 millions d’habitants ! On comprend pourquoi leur approche de la viande rouge est plutôt de l’ordre du condiment qui vient aromatiser le riz et les légumes », poursuit-il.
Cette viande parmi les plus chères du monde, ce pur diamant culinaire est aujourd’hui à la carte des meilleurs restaurants de carne, de Monaco, Mexico, Mykonos jusqu’à Hong-Kong et Dubaï. Il était, jusqu’à peu, totalement introuvable en dehors du Japon qui le gardait jalousement, comme un trésor. Mais voilà, comme tout ce qui est rare finit par être imité, le Japon sous pression, a fini par signer un premier accord d’exportation vers l’UE du wagyu beef de pure race. Il y a quelques mois, une imposante délégation d'éleveurs et de représentants du gouvernement nippon avait fait le déplacement pour vanter les mérites de leur viande devant un parterre de bouchers et de chefs. L'objectif est double : tenter de se faire une place sur les grandes tables et imposer son origine japonaise.
Toutefois, comme le regrette le Monégasque Riccardo Giraudi qui importe 80 % des carcasses réservées à l'Union européenne, « Seulement 20 % du cheptel de bœuf de Kobe est exportable. Sur cinq mille animaux produits par an au Japon, seul un millier peut donc servir les meilleures tables du monde. L'Europe en importera maximum trois cents, plus ou moins, par an. Ce qui fait vingt-cinq animaux par mois... Donc seulement cinquante entrecôtes, filet et faux filet pour toute l’Europe ». C’est cette allocation plus que restreinte qui rend son prix aussi élevé, sans oublier les énormes taxes d'importation.
Le risque, donc, c’est la contrefaçon. « Rien à voir avec les bidoches sous vide, met en garde Le Bourdonnec. Celles qui arrivent après trois mois de voyage à fond de cale pour frimer sur les tables des palaces parisiens afin de flatter les « sans-dents » habitués à sucer du Black Angus US mou ! » 
Même si, depuis quelques années déjà, le boucher s’approvisionne auprès de la ferme de Santa Rosalia à Burgos, en Espagne. Elle élève un croisement de races tajima/holstein qui fonctionne bien, nourri avec une sorte de muesli torrifié. Cela donne une viande joliment persillée, très différente du Japon, mais mieux adaptée à nos pièces de viande plus volumineuses.
Face à ces concurrents européens, australiens ou même américains qui, pour cause de restriction, se sont mis à imiter les méthodes d’élevage ancestrales des wagyu, le Japon cherche aujourd’hui à imposer le wagyu beef de pure race et surtout le label « Bœuf de Kobe ». « Les meilleures viandes que j’ai goutées au Japon proviennent d’élevages moins connus, Omigyu, Idda, ou Matsuzaka, ils développent des textures délicates et des arômes fruités », explique Le Bourdonnec. « Sauf que depuis peu, les coopératives de Kobé, vexées de se faire chiper leur wagyu national, ont également développées des élevages à grande échelle gavé au soja ricain pour aussi nous en fournir ». 
Reste que pour bénéficier du renommé label « Bœuf de Kobé », les critères sont très stricts. L'animal doit être élevé pendant les six ou sept premiers mois de sa vie au lait, ensuite à l'herbe, puis plus de deux ans de nutrition à base de riz ou de maïs selon des techniques mystérieuses qui contribuent à cette saveur unique et à la texture de sa viande. De la levure de bière est ajoutée à l’alimentation pour améliorer la digestion. Massés quotidiennement, parfois avec du saké (alcool de riz Japonais) pour l’exercice et pour accentuer le persillage.
Légende ou pas, certains vont jusqu’à diffuser dans les stabulations de la musique classique comme technique de relaxation pendant qu’ils mangent, de sorte qu’ils associent la musique à la nourriture. Le boucher des stars raconte que dans ce pays « La filière viande, de l’élevage à la découpe en passant par l’abattage, est depuis la nuit des temps organisée par une caste particulière, comme le métier de tanneur aussi. On peut les comparer aux intouchables en Inde. Il s’agit d’une caste sociale qui vit en marge de la société japonaise. Ce monde est très fermé, très peu de personnes ont réussi à pénétrer cet univers, d’où la légende qui entoure ce mode d’élevage. C’est amusant de voir aujourd’hui les communicants des coopératives de Kobé les utiliser comme images publicitaires ».



En France donc, le bœuf de Kobé débarque sur nos tables, il est arrivé par l’intermédiaire de quelques chefs et de bouchers réputés qui se sont pris de passion pour cette incroyable bidoche. Comme, entre autres, les frères Metzger, troisième génération de bouchers, qui fournissent de grands chefs comme Robuchon, Ducasse ou Gagnaire. Pour eux, le grand défi est de sortir le wagyu hors des restaurants japonais pour lui faire une place sur les étals de luxe pour des amateurs avertis. Car il a tout pour séduire la France et toutes les caractéristiques pour devenir le nouveau foie gras. On en retrouve certaines similitudes, notamment parce que ces animaux sont gavés le double d’une consommation moyenne pendant 800 jours.
Cette extraordinaire viande procure un plaisir gustatif sans pareil. Dans notre pays qui reste très carnassier malgré tout, elle a tout pour devenir le produit vedette des fêtes de fin d’année. Rien à voir avec la chair sans exhalaison d’une dinde gonflée aux châtaignes. La viande rouge du bœuf de Kobé est marbrée de blanc... Elle est particulièrement « persillée » ; c’est-à-dire parsemée de menus filaments de graisse. Là est toute la saveur de cette carne : un juste équilibre entre le muscle et la graisse. Le gras d’excellente qualité est pauvre en cholestérol et rend la viande plus tendre et plus juteuse. Selon plusieurs études scientifiques, sa chair est riche en acides gras mono-insaturés, notamment de l’acide linoléique conjugué (ALC), avec un bon ratio oméga 3/oméga 6. De là à dire que le wagyu est compatible avec une alimentation anti-cholestérol, il n'y a qu'un pas.
Cette viande fond dans la bouche, un peu comme du beurre. Très forte en bouche, avec des touches de noix de coco et autres arômes végétaux, quelques centaines de grammes suffisent à profiter de son goût exceptionnel. Il y a plusieurs façons de déguster : cuite à point, rouge, rosée, bleue mais chaude, crue… etc. Pour la déguster simplement et ne pas dénaturer le goût, rien de bien compliqué : il suffit de saler la viande juste avant la cuisson, puis de la saisir à la poêle. Le secret est de laisser reposer la viande au moins un quart d’heure avant de la déguster pour laisser le temps au sang de se répartisse dans tout le morceau.
Alors, vu sa masse graisseuse, quelle cuisson faut-il ? Attention, la viande est à surveiller de près, elle commence à fondre à partir de 25°. Le soleil levant pourrait presque commencer à la cuire. De plus, la cuisson va très vite et le risque de la laisser brûler est important. À la poêle (plutôt en inox), utilisez un morceau de gras pris autour de la pièce de viande, faites-le fondre et utilisez-le comme graisse de cuisson ! Pour une grosse épaisseur, type côte de bœuf, les chefs la cuisent plutôt à basse température pour obtenir une bonne cuisson à cœur. Pour une pièce plus fine (1,5 cm), la cuisson doit être rapide, juste un aller-retour. La plancha est idéale, la fonte du gras est immédiate en surface et elle procure une belle caramélisation. On peut aussi la rôtir et l’accompagné d’un beurre d’ail composé de beurre ramolli, d’ail écrasé, d’estragon, de sel et de poivre, posé au service sur la viande encore chaude. Autre façon de la cuisiner : faire mariner la viande dans une sauce chili avec du miel, de l’huile de sésame, du vinaigre de riz, de la coriandre, du gingembre et de l’ail pilé.
Pour conserver sa chaleur, placez le morceau au four à moins de 50 °C pour ne pas que la viande continue à cuire. Ensuite, vous pourrez déguster cette gueularde de luxe entière, ou coupée en fines tranches.
Comme le rappelle Riccardo Giraudi : « À l’instar de Bordeaux pour le vin, du vin français il y en a beaucoup et partout, idem pour le Wagyu japonais. Mais du Petrus il n’y en a que très peu, c'est la même chose pour la viande de Kobe. De la même façon que la truffe n'est pas un champignon, le caviar n'est pas un poisson, le champagne n'est pas qu'un vin, le boeuf de Kobe n'est pas qu'un simple steak. »