Découverte
Les grains d’or du Tokaj
03 I 11 I 2006
Itinéraire à travers le
plus célèbre des vignobles de Hongrie
Ce nectar, digne des meilleurs sauternes, considéré comme un élixir de longue vie, provient du nord-est de la Hongrie, de la région de Tokaj-Hegyalja, qui lui a donné son nom. Depuis plus de mille ans, ce terroir au sol volcanique est planté de ceps : les Romains les ont introduits en 290 avant notre ère...
Région charnière entre la Haute-Hongrie, la Transylvanie et même la Pologne, elle comprend de nombreux châteaux gothiques, renaissance ou baroques (Vizsoly, Szerencs et Rakoczi-Dessewffy), des ruines perchées sur les contreforts des Carpates, à la frontière de la Slovaquie et de l’Ukraine. Autant de vestiges qui soulignent son caractère slave empreint de romantisme.
Le vignoble s’étend sur une soixantaine de kilomètres. Seules 28 communes, dont celle de Tokaj, ont droit à l’appellation. Cette petite ville, à 200 km au nord-est de Budapest, est la première étape de la route des vins. Elle est située au pied du mont Tokaj, au confluent des rivières Tisza et Bodrog. Première halte obligée au coeur de la cité, dans la cour d’une maison de la rue Kossuth Lajos, où s’ouvre la cave Rakoczi, un labyrinthe d’un kilomètre et demi creusé à même la roche.
Autre étape fortement recommandée, le domaine impérial de Hetszölö. Dirigé par Tibor Kovacs, vigneron hongrois, il appartient aux Grands Millésimes de France, qui détiennent aussi château-beychevelle à Saint-Julien. La cave a été créée en 1502, et fut propriété de Gaspar Karolyi, le premier traducteur de la Bible en hongrois. Plus tard la famille Rakoczi s’en occupa, puis c’est au tour de Gyôrgy Rakoczi, prince de Transylvanie (1600-1648), de Ferenc Rakoczi II... Le vin aszù est alors si recherché qu’il est expédié jusqu’en Suède. Frédéric de Prusse, Pierre le Grand ou Louis XIV en apprécient alors eux aussi les arômes.
Plus au nord, Tolcsva, deuxième étape de cet itinéraire, est un petit village perché au-dessus des vignobles Mandulfis et Kùtpadka. Ici plane le souvenir des nobles familles hongroises disparues avec la Seconde Guerre mondiale. Ses trésors se cachent derrière de petites entrées de caves creusées à flanc de colline, sous des vignobles millénaires dont la récolte, grain par grain, s’appelle Vinum regum-rex vinorum, le vin des rois-le roi des vins. Une citation qu’on lit aujourd’hui sur chaque bouteille de tokaj.
Au domaine Orémus, ancien nom du cépage zéta, l’accueil est assuré par Andras Bacsco, le maître de chais, qui conduit lui-même la visite du cellier, véritable musée du vin. Un réseau de quatre kilomètres de caves abrite plus de 3 000 fûts de chêne. L’Oremus, ancien joyau de la famille des princes Rakoczi, produit un des tout premiers tokajs.
À l’époque du rideau de fer, la plus grande partie de la production était destinée au marché soviétique. Un jour, rapporte un vigneron, le ministre des Finances en tournée visite les lieux et demande pourquoi un épais duvet de moisissure recouvre la voûte des caves et les bouteilles. La réponse fuse : « Le champignon se nourrit de l’air pur et libre que les Hongrois ne peuvent respirer. »
Après avoir quitté Tolcsva et ses coteaux argileux, la route invite à poursuivre vers Sarospatak, le « Cambridge hongrois », centre politique, culturel et religieux du pays. Avant d’aller goûter une truite ou un sterlet cuit dans le vin à la vendéglö (auberge) Var, sur les bords de la rivière Bodrog, il ne faut pas non plus manquer les caves du château-megyer et du château-pajzos, deux superbes tokajs qui appartiennent à Jean-Louis Laborde, propriétaire de château-clinet, à Pomerol.
Hajnalka Szabo, directrice du domaine, initie dans un français parfait au mystère de son vin, dans les anciennes caves du château des Rakoczi.
Sur le chemin du retour vers Budapest, la meilleure façon de conclure consiste à faire une halte à Miskolc, réputée pour ses bains de Miskolctapolca. Uniques en Europe, on y accède par une rivière souterraine et un tunnel de roche. Fameux bains qui, comme le vin, ponctuent la vie des Hongrois depuis des lustres.
Les secrets des raisins d’aszù
Les grains d’aszù, issus de raisins de trois cépages du tokaj atteints de pourriture noble, sont ramassés un par un, manuellement. Ces grains sont cueillis du début du mois d’octobre, pour le muscat, et jusqu’à mi-novembre, pour le furmint et l’hàrslevelu. Mais, d’après la loi actuelle, une vendange d’aszù doit être faite à partir d’un même cépage, au choix.Les grains étaient autrefois collectés dans des hottes en bois appelées puttony, d’une contenance de 25 kg de raisin. Pour en extraire les sucres et les saveurs, ils doivent macérer, entre douze et quarante-huit heures, dans une cuve avec du moût frais, du moût en fermentation ou du vin sec, en fonction du style de vin désiré. L’aszù est ensuite pressé.
Traditionnellement, la qualité du tokaj est graduée en nombre de hottes d’aszù ajoutées à la quantité de vin de base (vinification classique) qu’une barrique peut contenir, c’est-à-dire 136 litres. Plus il y en a, plus le vin est doux. Le tokaj qui se rapproche le plus du sauternes est l’aszù cinq puttonyos : 125 kg de grains aszù (l’équivalent de cinq hottes) mélangés à 136 litres de vin de base.
Issus de grains sains, ce vin de base est un assemblage de quatre cépages : le furmint, l’hàrslevelu, le muscat jaune et le zéta.
Le furmint est une variété locale qu’on trouve dans toute la Hongrie, mais plantée plus spécialement à Tokaj.
L’hàrslevelu est un autre grand cépage originaire du pays. Au mûrissement tardif, il produit souvent un vin aromatique avec une acidité plus douce. Sa véritable qualité est de résister aux pluies excessives.
Le muscat jaune est une mutation du muscat blanc à petits grains, peut-être la plus vieille variété de raisins. Il mûrit plus tôt que le furmint ou l’hàrslevelu, ce qui permet de l’utiliser comme vin sec de base. Il est également plus bas en acidité mais joue sur le profil aromatique.
Zéta, autrefois connu sous le nom d’oremus, est réapparu récemment. Ce croisement hongrois de furmint et de bouvier, de mûrissement précoce, est très sensible à la pourriture noble. C’est un cépage d’assemblage peu utilisé.
Jadis, le tokaj devait vieillir quatre ans, plus des années additionnelles en fonction du nombre de hottes ajoutées : un aszù cinq puttonyos devait donc passer neuf ans en barrique. Malheureusement, la plupart des arômes de fruits étaient sacrifiés. Depuis 1993, ce vin liquoreux vieillit au minimum deux ans en barrique et un an en bouteille.
Carnet de route
VISITER UNE CAVE
On trouve du vin à des prix abordables chez les petits viticulteurs. Pour les grands crus, acheter directement au domaine. Excellentes bouteilles autour de 120 F pour un tokaj aszù 5 puttonyos. Environ 180 F pour un six puttonyos.
- À Tokaj Tokaj Wine Tours, sans réservation, rendez-vous sur place (Rakoczi u. 39). Domaine de Disznökö, réservation impérative (Tél. : 00.36.47 361 371). Domaine d’Hétszolo (Tél. : 00.36.47 352 009).
- À Tolcsva
Domaine Oremus (Tél. : 00.36.47 384 504).
- À Sarospatak
Château-megyer et château-pajzos (Tél. : 00.36.47 312 310).
SE LOGER
En dehors des grandes villes de Hongrie, le choix de l’hébergement est relativement limité.
- À Szerencs
Manoir-hôtel Huszarvar ***. Cet important bâtiment, avec un immense toit dont la charpente rappelle la coque d’un navire retournée, est typique de l’architecture hongroise. Il date du XVIe siècle et a été restauré en 1990. Malheureusement, le mobilier des chambres, moderne, manque de charme. Szerencs est située aux portes de la région viticole, dans le massif de Zemplen. Le manoir-hôtel, dont une partie est ouverte à la visite, appartenait à la famille Rakoczi. La chambre double : 340 F.
Huszarvar ùt 11. (Tél. : 00.36.47 362 518).
- À Tokaj
Inn Tokaj Vendéghàz. Un modeste établissement installé dans une maison de village. Il compte douze chambres confortables. Mobilier assez kitch et tissus imitation soie du meilleur goût. Il dispose d’un jardin et d’un petit patio ombragé. La chambre double : 250 F.
Dozsa György u. 13. (Tél. : 00.36 209 194 147).
- À Sarospatak
Hôtel Bodrog. Très central et confortable, même s’il rappelle le style, le service et l’architecture socialiste des années soixante. Cinquante chambres. La double : 480 F.
Rakoczi u. 58. (Tél. : 00.36.41 117.44).
Hôtel Borostyàn. Plus simple que le précédent mais il est installé dans un vieux monastère, ce qui lui confère un charme magyar indéniable. La chambre double : 200 F.
Kadar Kata, u. 28. (Tél. : 00.36.41 116.11).
SE RESTAURER
Beaucoup de petits restaurants proposent une cuisine traditionnelle, souvent riche et peu chère. Deux auberges invitent à savourer les recettes traditionnelles de la campagne hongroise :
- À Tolcsva
Pauleczki Antal. Au centre du village, cette table excelle dans le gibier : faisan, sanglier, etc. La région est réputée auprès des chasseurs (cerf, sanglier, chevreuil, lièvre, faisan et perdrix). Le permis est très cher pour les étrangers. Pauleleczki Antal, le maître des lieux, est aussi vigneron et fait visiter sa cave avec passion. Carte, selon arrivage du gibier, autour de 70 F.
Tolcsva Bajcsy Zs. u. 14. (Tél. : 00.36. 47 384 262).
- À Sarospatak
L’auberge Var Vendéglö. Un spécialiste des plats de poissons. Au bord de la Bodrog, cette adresse offre une vue romantique sur la ville et sur le château Rakoczi, illuminé en soirée. Accueil chaleureux et musique chaque soir. Au mur, des photos anciennes retracent l’histoire de Sarospatak. Menus en fonction de la pêche. La carte des vins est assez limitée. Compter 60 F le repas.
Arpad ùt. (Tél. : 00.36.47 311 370).
PRÉPARER SON VOYAGE
- Y aller. Par avion : Air France (Tél. : 0 820 820 820) et Malev (Tél. : 01.43.12.36.00) partagent six allers et retours par jour Paris-Budapest. Deux heures de vol. A partir de 2 180 F A-R. Par le train : liaison quotidienne (16 heures) entre Paris et Budapest, dans les deux sens. Par la route : 1 500 km d’autoroute entre Paris et Budapest. Attention au vol de voitures très courant à l’Est. Il est conseillé d’en louer une sur place. Par ailleurs, l’alcool est strictement interdit au volant et la police se montre intraitable. De Budapest vers Tokaj, 200 km. Prendre l’autoroute M3 direction Gyongyos (85 km), puis direction Miskolc et Felsozsolca par la N3 (E 71). Ensuite, prendre la nationale 37 direction Tokaj et Sarospatak.
- Formalités. Carte d’identité ou passeport en cours de validité.
- Change. Un franc vaut 39 forints.
- Achats. À Sarospatak, rue Morics Zs, achetez des céramiques d’Hollohoza en terre cuite, décorées de motifs traditionnels. Egalement, nombreux produits typiques comme les dentelles et les broderies, quelques objets d’art sculptés en bois et de très beaux verres en cristal. La Hongrie est réputée pour son foie gras, à déguster avec un verre de tokaj. Les eaux-de-vie sont nombreuses : abricot, prune ou cerise. Ne pas oublier non plus le paprika doux qui accompagne le goulache.
- Lire : Les Vins de Tokaj de Mathilde Hulot et Patrick Cronenberger. Superbement illustré, avec un guide pratique en fin d’ouvrage bien utile une fois sur place (Ed. Féret). Guide du routard Hongrie, Roumanie, Bulgarie (Hachette). Le Grand Guide de la Hongrie (Gallimard). Guide Nelles Hongrie (Ed. du Buot), La Région de Sarospatak et de Tokaj, Istvan Lazar, collection « La découverte de la Hongrie » (Ed. Corvina).
- Forfaits. Pour organiser un séjour à la carte en Hongrie, permettant de visiter Budapest et de prendre la route de Tokaj, compter environ 10 000 F la semaine pour deux au départ de Paris et consulter Euro Pauli (Tél. : 0 826 803 303), Frantour (Tél. : 0 803 855 855), Nouvelles Frontières (Tél. : 0 825 000 825), Transtours (Tél. : 0 825 031 031), Voyageurs en Europe (Tél. : 01.42. 86.17.20) et CGTT Voyages (Tél. : 01.40.22. 88.88).
- Renseignements. Office de tourisme de Hongrie (Tél. : 01.53. 70.67.17).