L’univers enchanteur des alambics
Bar à whisky à Aberlour. © Bernard Joo'
Les techniques de distillation d’eaux-de-vie sont vieilles comme le monde. Et le plaisir et la découverte qui en découlent sont infinis. Dégustation, culture, patrimoine, elles sont tout à la fois. Pourtant, parler avec passion des spiritueux deviendra-t-il bientôt un délit ? En cause, une nouvelle loi en préparation dont tout le monde épicurien parle.
Combien de temps reste-t-il
encore aux bouilleurs de cru de ces grands alcools, qui font partie de
l’exception gastronomique française classée au patrimoine mondial, avant de
devenir des malfaiteurs ? Sans parler des taxations comportementales à venir !
Un comble quand l’on sait que l’eau-de-vie fut élaborée au Moyen Âge par des
alchimistes qui voulaient créer un élixir de longue vie. On lui a même
longtemps attribué des vertus médicinales. Avec raison puisque son degré
alcoolique en fit un excellent antiseptique d’usage externe et… interne.
Les meilleures distillations se
font en deux chauffes successives. Le jus fermenté est lentement chauffé. Les
vapeurs qui s’échappent sont collectées dans le chapiteau. Les vapeurs
aqueuses, trop lourdes, retombent tandis que les substances alcooliques, plus
légères, s’élèvent. Les vapeurs se condensent en fin de parcours lorsque le
serpentin se trouve plongé dans l’eau froide. C’est alors que le brouillis
s’écoule doucement. L’alcool obtenu sera une nouvelle fois chauffé afin
d’obtenir une eau-de-vie. Voici une courte sélection parmi les plus belles, ou
les plus rares, produites par cet univers enchanteur d’alambics et de cornues.
Le château du Breuil, dans le
Pays d’Auge, appartient à ce monde mystérieux. Il assemble un calvados
d’exception qui vieillit dans des fûts de chêne, à l’ombre de ses chais datant
du XVIIe siècle. Pour Didier Delut, son directeur général, « un des secrets de ce breuvage réside dans les dizaines de variétés de
pommes de nos vergers, où nous retrouvons beaucoup de similitudes avec la
vigne. L’orientation des parcelles, le sol bien drainé, et le faite que cet
arbre n’aime pas l’humidité. Sans compter la qualité de l’extraction du jus de
fruit. » De tous les assemblages du maître de chais, Philippe Etignard, le
Château du Breuil 15 ans d’Âge retiendra l’intérêt de l’amateur pour son goût
caractéristique de pomme, et une fin de bouche qui laisse apparaitre des tanins
de vieilles eaux-de-vie. Ce calvados est reconnaissable à la cire et au cordon
qui recouvre et ensache son col.
Les échanges de barriques que
fait le Calvados avec l’Écosse, notamment avec la distillerie Spingbank, nous
amènent à parler tout naturellement de whisky. Les Français en sont les plus
grands amateurs au monde, avec plus de 14 millions de caisses dégustées en
2012. Le Springbank 12 ans « fûts de Calvados », single malt du Campbeltown, a été
distillé en avril 2000 et mis en bouteille en octobre 2012. L’élevage s’est
effectué six ans en fût de bourbon et six ans en fût de calvados pour ensuite
être embouteillé, en « brut de barrique », à 52°. Cela donne un whisky épicé,
très aromatique, avec des notes de pomme, de cannelle et de marmelade
d’oranges, très long en bouche avec une texture grasse.
Dans un registre plus délicat,
n’oublions pas les alcools blancs qui jouent plus sur la pureté des arômes. À
quelques exceptions près, ces eaux-de-vie de fruit sont contenues dans des
bouteilles de type « flûte Alsace ». De cette région, la maison Wolfberger
n’est pas seulement réputée pour ses vins, elle l’est aussi comme distillateur.
Et appartient à la grande tradition de la distillation hexagonale. Sa mirabelle
est distillée suivant deux méthodes. Une première en deux chauffes, qui permet
de dégager des arômes ronds et longs au palais. Une seconde, raide sur colonne,
qui donne, en une seule chauffe, des senteurs de fruit plus nettes et plus
légères. Très douce au sortir de l’alambic, la mirabelle peut tolérer un
vieillissement moins long que d’autres alcools.
Chai de vieillissement dans le Calvados. © Bernard Joo'
Après vieillissement, les eaux-de-vie, issues des deux méthodes sont assemblées pour exprimer la fleur et le fruit. Son nez, puissant, révèle des arômes de confiture de mirabelles chaudes et noyautées. La bouche douce, bien équilibrée, finie sur des notes d’amandes. Voilà une eau-de-vie d’une très grande finesse, tout à fait remarquable. Attention, elle craint la lumière qui altère son arôme et sa transparence.
On ne peut pas clore ce chapitre sans le Cognac, le spiritueux emblématique du savoir-faire français. Bois, fruit, élégance… Là aussi c’est l’assembleur qui donne le style avec cet équilibre recherché parmi les âges des eaux-de-vie. L’apport tannique du fût neuf boostera en tanin au début de l’élevage, puis les vieilles barriques finiront le travail..
Difficile d’en sélectionner un
parmi tant d’autres, mais le Louis XIII Rare Cask 42,6 en est un des plus
extraordinaires. Pierrette Trichet, quatrième génération de maîtres de chais
commencée par Remy Martin, fondateur de la maison éponyme, avoue une émotion
indéfinissable un jour d’automne 2009, «
ce jour-là, j’ai marqué à la craie le tierçon (un fut de 560 litres NDLR) qui
allait offrir 738 flacons du premier Rare Cask. »
Cette intuition
fut confirmée quand, lors d’une dégustation avec son adjoint, Baptiste Loiseau,
Pierrette Trichet estima « que le tierçon
avait atteint son point d’équilibre ». Noix, fruits secs, datte, pruneau,
gingembre… Sa palette aromatique en fait une expérience unique.
De tous ces
grands alcools, il ne restera peut-être bientôt plus que la part des
Anges pour pleurer! Espérons que les conseillers «hygiénistes» du
ministère de la Santé n’aient pas gain de cause.
Où les
trouve
Calvados Château
du Breuil « 15 ans d’âge », 57 €
Whisky
Springbank 12 year old Calvados Wood, 85 €,
Eau-de-vie médaillée de Mirabelle Wolfberger, 40 €
Cognac Louis XIII Rare Cask 42,6 by Remi
Martin, 18 500 €.
Chez
les meilleurs cavistes.