mardi 25 novembre 2014

Innovation


Une langue artificielle

La langue est composée de capteurs réagissant à différentes substances.

La bière est une passion planétaire qui remonte à l’Égypte antique et qui arrive en Europe 5000 ans av JC. C’est sans doute cette passion, poussée à son paroxysme, qui a inspiré l’équipe de scientifiques de l'Université autonome de Barcelone (UAB) dans sa volonté de mettre au point une langue artificielle capable de distinguer les différentes variétés de bières.
Quelles soient stout, lager, double malt, pils, alsacienne ou sans alcool. Ce prototype de « langue électronique », qui reproduit le système gustatif de l’organe humain, a été révélé dans la revue scientifique Food Chemistry, spécialiste de la chaîne alimentaire (de la ferme à l’assiette). Il est déjà précis dans 82 % des cas, même s’il ne cesse de progresser.
On connaissait déjà l’oreille, le nez et la main électroniques, on a maintenant la langue. Il ne manque plus que la vue pour que l’homme soit capable de reproduire artificiellement ses cinq sens ! Fondé sur le fonctionnement de la langue humaine avec ses papilles ultra-sensibles, « le concept de langue électronique revient à utiliser des capteurs génériques en réseau, qui réagissent aux divers composés chimiques recherchés », explique le chercheur Manel del Valle, auteur principal de l'étude publiée dans la célèbre revue britannique.
En l’occurrence, la langue espagnole est composée de capteurs réagissant à différentes substances. Pour cela, les scientifiques ont étudié l'anatomie de la langue en détail. Elle est composée de nombreux isolateurs sensoriels, appelés papilles, dispersés sur sa surface. L'anatomie de l’organe naturel a permis de mieux comprendre les mécanismes du signal gustatif. Certaines cellules fonctionnent comme des récepteurs sensibles qui transmettent au cerveau les informations chimiques correspondant aux caractéristiques gustatives. Chaque cellule réceptrice a une forme unique, qui répond à des types de signaux chimiques donnés. Ces signaux, émis par les récepteurs gustatifs, sont véhiculés principalement par trois nerfs crâniens. Ils sont transmis jusqu'au système nerveux central, où des régions du cerveau décodent l'information chimique et la traduit en sensation gustative.
L'ultra-sensibilité des papilles de la langue humaine a été prise en modèle dans la conception de sa version électronique pour goûter la bière. Dans cette invention, l’ordinateur remplace tout simplement le cerveau. L'emploi d'une palette de capteurs génériques qui réagissent aux divers composés chimiques recherchés constitue l'idée première de la conception de ce dispositif. Cette langue électronique se voit munie de 21 électrodes ioniques qui réagissent en présence de substances variées, dont les chlorures, les nitrates, le sodium et l'ammonium. Le spectre de signaux produits par les électrodes a été par la suite comparé aux divers assemblages de bière présentés. 
Distinguer le vrai du faux 
Ensuite, « le spectre de signaux générés par la langue artificielle a été étalonné en fonction des différentes informations chimiques des bières qu’elle goûte », précise Manel del Valle.
Ce qui est loin d’être évident, car, si la recette de ce breuvage reste simplissime, les assemblages de différentes variétés de houblon et de malt torréfié, la multiplicité des levures, la prise de mousse, la qualité de l’eau, la garde, en font un process très complexe.
L’équipe du groupe « senseurs et biosenseurs » de l’université catalane estime que cette expérience les conduira « à la fabrication d'un robot doué du sens du goût, que l'on pourrait substituer aux équipes de goûteurs des grands groupes brassicoles chargés d'évaluer les différents assemblages avant leur commercialisation ».
Surtout, la langue artificielle sera douée pour distinguer le vrai du faux, puisqu’une fois programmée, elle sera à même de distinguer les composantes du brassin pour un contrôle qualité plus fiable. Après avoir chargé les données de la signature chimique des bières sélectionnées, elle peut repérer ce qui les caractérise. « Même si, pour l’instant, elle est incapable d'établir une distinction entre d'autres boissons qui ne figuraient pas dans ses données », admet Manel del Valle.
Les robots testeurs de boissons progressent lentement. Le premier modèle avait été conçu en 2006 par l’équipe du professeur Atsushi Hashimoto de la Mie University et la firme NEC System Technologies Ltd., basée à Osaka. À l’époque, les Japonais avaient affublé le système d’un robot anthropoïde pour faire joli. Il avait acquis la célébrité en rentrant au Guinness des records en 2008. L’engin savait discerner une trentaine de vins, apparemment de manière efficace. Mais sa technique était très différente de celle de l’invention espagnole, l’analyse reposant sur l’absorption de rayonnements infrarouges de différentes longueurs d’onde. À l’époque, le petit robot sommelier pouvait tout de même reconnaitre différents fromages et des fruits, et même mesurer la maturité d’une pomme.