Les cantines parisiennes des grands patrons
Le restaurant japonais Hanawa.
À Paris, le pouvoir se concentre entre les
mains d’un petit groupe de personnes. Le plus simple pour les croiser est d’aller
là où elles se retrouvent. Ou plutôt d’aller y déjeuner. Sans risque, puisque
ce sont presque exclusivement les tables les plus réputées. Les tables « à la mode, mais pas branchées ou distinguées
grâce à la renommée des chefs qui les inspirent », explique un membre
du très select Club des 100, qui a fêté son centenaire cette année. Hubert
Guerrand-Hermès, Henri de Castries, Albert Frère, Martin Bouygues, Robert
Peugeot, Michel David-Weill , Jean-René Fourtou… sont parmi les
« centristes ».
Le plaisir des sens reste une valeur fondamentale
qui s’applique aussi bien aux plaisirs purement physiques qu’aux aspirations
intellectuelles de la science ou de l’art. Les grands patrons du Cac 40 qui
fréquentent ces établissements sont en quelque sorte les mécènes de ces grands chefs ?
Ces artistes qui, dans leur atelier-cuisine, entourés de leurs disciples, créent
ce plaisir des sens.
Dans la capitale, ces tables où ils officient
privilégient la confidentialité, mais surtout la qualité et la créativité. Et aussi
la légèreté pour une nouvelle génération de patrons. Sur les tables du
très prisé restaurant Laurent, le lièvre à la royale « cuisiné selon la recette du sénateur Couteau » ou le perdreau
de chasse rôti se font rares. Les flacons de grands crus classés aussi. Ici
aussi, l’heure est au light, au bio, au bien passant. Et la carafe d’eau n’est même
plus tabou.
Difficile tout de même d’identifier les
adresses indexées au Cac 40 parmi la multitude de pseudo « restaurants
d’affaires » du Triangle d’or et de l’Ouest parisien. Voici une « short
liste » des dix adresses qui tiennent la cotation.
À commencer justement par le Laurent, aujourd’hui
propriété du groupe Partouche, qui reste l’adresse emblématique des milieux d’affaires
qui ne l’ont pour ainsi dire jamais déserté depuis son origine. C’était en
1860. De cette longue histoire, M. Philippe Bourguignon, son directeur
général depuis 2002, en est certainement devenu la mémoire vivante par passion
et dévouement, surement son très discret confesseur. Pour lui, le Laurent est un
« un club sans inscription où on
s’isole de l’entreprise ». Quand on lui demande pourquoi l’endroit attire
tant de décideurs, il décrit « la discrétion
de ses angelots en stuc et le réseau, la plus belle terrasse de Paris dès que
le soleil revient. » Mais il cite aussi Vincent Bolloré qui un jour
lui a confié « qu’il aimait y venir
pour traiter d’affaires importantes, car le Laurent lui portait chance ».
Zuckerberg et son sweat-shirt à capuche
Avant d’avouer que chez les grands patrons
comme chez les politiques, « il y a
un changement de générations, celle des Dubrule, Pinault père et Bébéar ou
Patrick Ricard qui oubliaient leurs affaires en entrant, a laissé place à des
quadras plus pressés. Comme Mathieu Pigasse ou Franck Riboud. Il a fallu s’adapter,
aujourd’hui ce n’est plus la grand-messe. » Et de raconter l’arrivée
remarquée de Mark Zuckerberg et son sweat-shirt à capuche ou la fois où un
grand patron a apporté une belle truffe… toute pourrie.
Ici, le classicisme sans cesse revisité du
chef Alain Pégouret fait merveille. Comme cette palette de légumes raves
relevés d’huiles aromatiques et épicés, ou tout simplement la fameuse pomme
soufflée.
Autre maison qui a su s’imposer grâce au
talent de son équipe dirigée par M. Toshimasa Higashiuchi, c’est le japonais
Hanawa, de la rue Bayard. « Même
si avec la catastrophe de Fukushima a eu pour effet une baisse de la
fréquentation, nous avons retrouvé notre clientèle », concède M. Higashiuchi. « Xavier Niel (Iliad), Jacques-Antoine Granjon (vente-privee.com),
Delphine et Antoine Arnault et Patricia
Barbizet (Artémis) ont toujours leurs
habitudes chez nous. Ils ont leur
table réservée, comme celle-ci, la n° 42, pour M. Niel. C’est surtout
un lieu de rendez-vous sans rendez-vous. »
L’équipe de chefs repense la cuisine
impériale de Kyoto pour l’adapter comme la sélection de wagyu (bœuf japonais)
sauce Ponzu et légumes de saison. « Cette
nouvelle génération de grands patrons de la net économie vient surtout ici pour retrouver une cuisine
légère et raffinée et peut l’accompagner d’un coca zéro sans honte », confie
M. Higashiuchi. Malgré une très belle sélection de vins français et de saké.
Ce qui importe, c’est aussi en premier lieu
la facilité d’accès du restaurant : est-il dans ce fameux triangle ?
Pas trop éloigné pour un déjeuner ? Mais aussi la rapidité du service.
D’autres
cantines du Cac sont aussi recherchées. À chacune ses habitués. Le premier
étage du restaurant de poissons Prunier, réputé pour sa discrétion, tout comme
le Pré Catelan, en plein bois de Boulogne, plus proche du quartier de la Défense
en manque de grande table.
Ou Apicius de Jean-Pierre Vigato, « idéal pour fêter la signature d’un
gros contrat en plein Paris, mais hors du temps et devant la mythique charlotte
de pomme de terre au caviar », relate un habitué.En revanche, il ne faut pas oublier Marius et Janette pour la fraicheur de ses poissons, ou l’incontournable Stresa pour sa fréquentation. Le savoir-faire de Michel Rostang et son personnel, réputé comme « le plus amical de Paris ». Ou encore, Le Dali, « brasserie » plus formelle de l’hôtel Meurice décorée par Starck. L’Atelier, de Joel Robuchon, au sous-sol du drugstore Publicis.
Si pour le déjeuner, la plupart des adresses se concentrent autour de l’Étoile. Rive gauche, c’est à L’Esplanade, face aux Invalides, qui mélange le monde des affaires et celui de la politique. Voire tout proche, Il Vino, le restaurant d’Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde. « La plus belle sélection de vins de la capitale », concède un connaisseur parmi ces influents épicuriens. À propos, on ne dit plus « repas d’affaires », mais « déjeuner de travail ». Les affaires se concluent à présent au dîner.
Les adresses
Le Laurent : 41 avenue Gabriel, Paris
8e.
Hanawa : 26 rue Bayard, Paris 8e.
Prunier : 16 avenue Victor Hugo,
Paris 16e.
Pré Catelan : route de Suresnes,
Paris 16e.
Apicius : 20 rue d'Artois, Paris
8e.
Marius et Janette : 4 avenue
George V, Paris 8e.
Michel Rostang : 20 rue
Rennequin, Paris 17e.
Le Dali : 228 rue de Rivoli, Paris
1e.
L’Atelier : 133, avenue des
Champs-Élysées, Paris 8e.
Il Vino : 13 boulevard de la
Tour-Maubourg, Paris 7e.