mardi 25 novembre 2014

Gastronomie


Les cantines parisiennes des grands patrons 

Le restaurant japonais Hanawa.

À Paris, le pouvoir se concentre entre les mains d’un petit groupe de personnes. Le plus simple pour les croiser est d’aller là où elles se retrouvent. Ou plutôt d’aller y déjeuner. Sans risque, puisque ce sont presque exclusivement les tables les plus réputées. Les tables « à la mode, mais pas branchées ou distinguées grâce à la renommée des chefs qui les inspirent », explique un membre du très select Club des 100, qui a fêté son centenaire cette année. Hubert Guerrand-Hermès, Henri de Castries, Albert Frère, Martin Bouygues, Robert ­Peugeot, Michel David-Weill , Jean-René Fourtou… sont parmi les « centristes ».
Le plaisir des sens reste une valeur fondamentale qui s’applique aussi bien aux plaisirs purement physiques qu’aux aspirations intellectuelles de la science ou de l’art. Les grands patrons du Cac 40 qui fréquentent ces établissements sont en quelque sorte les mécènes de ces grands chefs ? Ces artistes qui, dans leur atelier-cuisine, entourés de leurs disciples, créent ce plaisir des sens.
Dans la capitale, ces tables où ils officient privilégient la confidentialité, mais surtout la qualité et la créativité. Et aussi la légèreté pour une nouvelle génération de patrons. Sur les tables du très prisé restaurant Laurent, le lièvre à la royale « cuisiné selon la recette du sénateur Couteau » ou le perdreau de chasse rôti se font rares. Les flacons de grands crus classés aussi. Ici aussi, l’heure est au light, au bio, au bien passant. Et la carafe d’eau n’est même plus tabou.
Difficile tout de même d’identifier les adresses indexées au Cac 40 parmi la multitude de pseudo « restaurants d’affaires » du Triangle d’or et de l’Ouest parisien. Voici une « short liste » des dix adresses qui tiennent la cotation.
À commencer justement par le Laurent, aujourd’hui propriété du groupe Partouche, qui reste l’adresse emblématique des milieux d’affaires qui ne l’ont pour ainsi dire jamais déserté depuis son origine. C’était en 1860. De cette longue histoire, M. Philippe Bourguignon, son directeur général depuis 2002, en est certainement devenu la mémoire vivante par passion et dévouement, surement son très discret confesseur. Pour lui, le Laurent est un « un club sans inscription où on s’isole de l’entreprise ». Quand on lui demande pourquoi l’endroit attire tant de décideurs, il décrit « la discrétion de ses angelots en stuc et le réseau, la plus belle terrasse de Paris dès que le soleil revient. » Mais il cite aussi Vincent Bolloré qui un jour lui a confié « qu’il aimait y venir pour traiter d’affaires importantes, car le Laurent lui portait chance ».
Zuckerberg et son sweat-shirt à capuche 
Avant d’avouer que chez les grands patrons comme chez les politiques, « il y a un changement de générations, celle des Dubrule, Pinault père et Bébéar ou Patrick Ricard qui oubliaient leurs affaires en entrant, a laissé place à des quadras plus pressés. Comme Mathieu Pigasse ou Franck Riboud. Il a fallu s’adapter, aujourd’hui ce n’est plus la grand-messe. » Et de raconter l’arrivée remarquée de Mark Zuckerberg et son sweat-shirt à capuche ou la fois où un grand patron a apporté une belle truffe… toute pourrie.
Ici, le classicisme sans cesse revisité du chef Alain Pégouret fait merveille. Comme cette palette de légumes raves relevés d’huiles aromatiques et épicés, ou tout simplement la fameuse pomme soufflée.
Autre maison qui a su s’imposer grâce au talent de son équipe dirigée par M. Toshimasa Higashiuchi, c’est le japonais Hanawa, de la rue Bayard. « Même si avec la catastrophe de Fukushima a eu pour effet une baisse de la fréquentation, nous avons retrouvé notre clientèle », concède M. Higashiuchi. « Xavier Niel (Iliad), Jacques-Antoine Granjon (vente-privee.com), Delphine et Antoine Arnault et Patricia Barbizet (Artémis) ont toujours leurs habitudes chez nous. Ils ont leur table réservée, comme celle-ci, la n° 42, pour M. Niel. C’est surtout un lieu de rendez-vous sans rendez-vous. » 
L’équipe de chefs repense la cuisine impériale de Kyoto pour l’adapter comme la sélection de wagyu (bœuf japonais) sauce Ponzu et légumes de saison. « Cette nouvelle génération de grands patrons de la net économie vient surtout ici pour retrouver une cuisine légère et raffinée et peut l’accompagner d’un coca zéro sans honte », confie M. Higashiuchi. Malgré une très belle sélection de vins français et de saké.
Ce qui importe, c’est aussi en premier lieu la facilité d’accès du restaurant : est-il dans ce fameux triangle ? Pas trop éloigné pour un déjeuner ? Mais aussi la rapidité du service.
D’autres cantines du Cac sont aussi recherchées. À chacune ses habitués. Le premier étage du restaurant de poissons Prunier, réputé pour sa discrétion, tout comme le Pré Catelan, en plein bois de Boulogne, plus proche du quartier de la Défense en manque de grande table.
Ou Apicius de Jean-Pierre Vigato, « idéal pour fêter la signature d’un gros contrat en plein Paris, mais hors du temps et devant la mythique charlotte de pomme de terre au caviar », relate un habitué.
En revanche, il ne faut pas oublier Marius et Janette pour la fraicheur de ses poissons, ou l’incontournable Stresa pour sa fréquentation. Le savoir-faire de Michel Rostang et son personnel, réputé comme « le plus amical de Paris ». Ou encore, Le Dali, « brasserie » plus formelle de l’hôtel Meurice décorée par Starck. L’Atelier, de Joel Robuchon, au sous-sol du drugstore Publicis.
Si pour le déjeuner, la plupart des adresses se concentrent autour de l’Étoile. Rive gauche, c’est à L’Esplanade, face aux Invalides, qui mélange le monde des affaires et celui de la politique. Voire tout proche, Il Vino, le restaurant d’Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde. « La plus belle sélection de vins de la capitale », concède un connaisseur parmi ces influents épicuriens. À propos, on ne dit plus « repas d’affaires », mais « déjeuner de travail ». Les affaires se concluent à présent au dîner.

Les adresses
Le Laurent : 41 avenue Gabriel, Paris 8e.
Hanawa : 26 rue Bayard, Paris 8e.
Prunier : 16 avenue Victor Hugo, Paris 16e.
Pré Catelan : route de Suresnes, Paris 16e.
Apicius : 20 rue d'Artois, Paris 8e.
Marius et Janette : 4 avenue George V, Paris 8e.
Michel Rostang : 20 rue Rennequin, Paris 17e.
Le Dali : 228 rue de Rivoli, Paris 1e.
L’Atelier : 133, avenue des Champs-Élysées, Paris 8e.
Il Vino : 13 boulevard de la Tour-Maubourg, Paris 7e.