La cuisine minceur des grands chefs : super light, super bon
Anne-Sophie Pic ne parle pas de recettes minceur, plutôt de plats légers et
sains.
Aujourd’hui, pas une grande cuisine étoilée ne se conçoit
sans une réflexion sur la santé et le bien-être. Médecins, chercheurs et autres
naturopathes sont passés par là. Ils ont amassé une telle quantité de
connaissances nutritionnelles que le concept de cuisine santé, qui date tout de
même des années 1970, est devenu incontournable. Malheureusement, chacun
abdique quand il faut traduire ce bon sens dans l’assiette. Par manque de volonté
ou, tout simplement, par ignorance culinaire. Brillat-Savarin disait : « seul
l’homme d’esprit sait manger ».
Pourtant, le Dr Jean-Marie Bourre (1), apôtre des
omega-3 et surnommé le pourfendeur des végétariens, nous rappelle que « le
repas doit nourrir en faisant plaisir ». Il considère tout simplement que :
« L'obstination du léger est une erreur, il est inutile de bannir le gras
et le sucré ». En cela il rejoint la façon de penser de beaucoup de grands
chefs. Les vrais magiciens du fourneau, pas ceux de la pipette, de l’alchimie,
les « fusionneurs » et leur courant réducteur.
Le concept de cuisine minceur a été initié par
Michel Guérard, l'un des plus anciens chefs 3 étoiles de France. Inéluctable,
quand on officie dans un restaurant de station thermale celui d’Eugénie-les-Bains.
D’autres étoilés, parmi les plus grands, ont aussi été les premiers à se lancer.
Joël Robuchon, Alain Senderens. Michel Bras, Jacques Le Divellec, ou encore
André Gaüzère (2), en ont fait un art gastronomique incontournable.
Pour sa part, Thierry Marx (3), le chef du Mandarin
Oriental, ne veut pas entendre parler de révolution culinaire, mais plutôt
d’évolution calorique : « Nous travaillons la «cryoconcentration» du produit,
notre carte est faite d’une cuisine bien-être. Au XVIe siècle, le sel
conservait. On en est plus là. Et puis, poursuit-il, « la santé sort de
l’univers fantasmé du cuisinier ». Il se méfie des campagnes des docteurs
gourous. « Il n’y a pas pire que les interdictions. On ne va pas parler
cuisine et cancer ! » dit-il, avant d’enchérir, « le plus
grand danger c’est l’alliance du tube digestif et du tube cathodique ». Selon
Marx, c’est la qualité d’un produit qui est nutritive, et pas la quantité :
« On confond trop quantité et satiété. On ne peut plus être malade, la
santé coûte cher. On réfléchit plus à l’acte de manger. Il faut bannir sa
transformation avec du beurre et lier sans amidon ».
D’autres, consciemment ou inconsciemment, font une
cuisine très inspirée par cette philosophie de bon sens. Comme Adeline Grattard
et ses petits plats vapeurs arrosés de thé, qui fait une cuisine pleine de
surprise. Yannick Delpech, à Coulommiers, qui fait recette chez les esthètes de
la cuisine bien-être avec son saint-pierre au vert ainsi que son caviar bio des
Pyrénées et sa sardine taillée au couteau.
À chacun sa recette
Anne-Sophie Pic, triplement
étoilée à Valence et qui vient de recevoir une première étoile à Paris, fait
tout pour que la cuisine reste « une source de plaisir avant tout sans altérer
la santé pour autant ». Même si les techniques culinaires ont évolué. Pour
elle, la règle d'or d'une alimentation santé reste « l’équilibre, une saine
gestion des excès, le plaisir sans la culpabilité, l’envie de partager sans
jamais oublier le produit et le bonheur de cuisiner pour les autres ».
Anne-Sophie Pic ne parle pas de recettes minceur, plutôt de plats légers et
sains, qu’ils soient à base de légumes, de poissons ou de viandes. «J’ai introduit
de plus en plus de légumes dans mes menus, ce qui constitue un véritable
challenge pour moi. Ainsi la carotte ou la betterave au travers de leur
diversité ont donné naissance à des plats qui les subliment. »
À la carte de son restaurant de Valence, il faut
goûter ses betteraves plurielles, à la texture fondante et crémeuse, au café
Blue Mountain et acidulé d’épine-vinette, la fine gelée et mousseux à la
carotte, coulant de yaourt à la fleur d’oranger et poivre de
Voatsiperifery ou le pigeon fermier,
poché puis rôti accompagné de céleri et d’asperge verte de Mallemort à l’anis
vert consommé cristallin légèrement fumé. « L’important c’est de trouver
l’équilibre et de ne pas être dans la frustration », ajoute-t-elle.
Quant à Michel Guérard, il aime paraphraser Malraux :
« La cuisine sera santé ou ne sera pas ». « Le Français y est très accroché,
c’est à la fois un plaisir naturel et un bien social acquis. Par contre il faut
éviter certaines mauvaises habitudes, tout en revisitant nos grands classiques
pour maintenir les traditions », explique-t-il.
« Autrefois, pour faire une sauce on faisait une
réduction de fumé de poisson, ensuite une réduction de crème puis une réduction
de beurre. Maintenant on travaille les bouillons aromatiques, même pour
remplacer l’huile des vinaigrettes. Le « fondateur de la nouvelle
cuisine » innove toujours, avec l’ouverture de l’Institut qui portera son
nom, au printemps prochain, à Eugénie-les-Bains. Une école de technique
culinaire basée sur la diététique nutritionnelle et médicale. L’idée est de
créer un master en cuisine santé basé sur la notion de diététique. Ainsi qu’un
livre blanc sur cette cuisine. « Il faut former les cuisiniers du XXIe
siècle. Aujourd’hui, personne ne leur apprend ces principes. »
Preuve de que l’influence de Guérard ne faiblit pas,
la seule troisième étoile 2013 revient à Arnaud Donckele du restaurant de
La Résidence de la Pinède, à Saint-Trop, un de ses nombreux disciples.
(1)
Auteur de La
chronodiététique, éd. Odile Jacob.
(2) La Grande Cuisine allégée. Éd. Flammarion.
(3) Bon !, coécrit avec Jean-Michel Cohen, éd.
Flammarion.
Allons-y…
André Gaüzère, Campagne et Gourmandise, avenue Alan Seeger, 64200
Biarritz. Tél. : 05 59 41 10 11.
Joël Robuchon, L’Atelier : 5 rue Montalembert, 75007 Paris. Tél. :
01 42 22 56 56.
Alain Senderens, La Table Senderens : 9 place de la Madeleine,
75008 Paris. Tél. : 01 42 65 22 90.
Michel Bras, route de l'Aubrac - 12210 laguiole. Tél. : 05 65 51
18 20.
Jacques Le Divellec, 107 rue de l'Université, esplanade des Invalides,
75007 Paris. Tél. : 01 45 51 91 96.
Anne-Sophie Pic, Maison Pic : 285 avenue Victor Hugo, 26000
Valence. Tél. : 04 75 44 15 32. La Dame de Pic : 20 Rue du Louvre, 75001 Paris.
Tél. : 01 42 60 40 40.
Thierry Marx, Le Mandarin oriental : 251 rue Saint-Honoré,
75001 Paris. Tél. : 01 70 98 78 88.
Adeline Grattard, Yam’Tcha : 4, rue Sauval, 75 001 Paris. Tél. :
01 40 26 08 07.
Yannick Delpech, L’Amphitryon, chemin de Gramont, 31770 Colomiers.
Tél. : 05 61 15 55 55.
Arnaud Donckele, La Vague d'or, plage de Bouillabaisse, 83990
Saint-Tropez. Tél. : 04 94 55 91 00.
Michel Guérard, Les prés d’Eugénie : 234 rue René Vielle,
40320 Eugénie-les-Bains. Tél. : 05 58 05 06 07.