mardi 25 novembre 2014

Gastronomie



La cuisine minceur des grands chefs : super light, super bon



Anne-Sophie Pic ne parle pas de recettes minceur, plutôt de plats légers et sains.

Aujourd’hui, pas une grande cuisine étoilée ne se conçoit sans une réflexion sur la santé et le bien-être. Médecins, chercheurs et autres naturopathes sont passés par là. Ils ont amassé une telle quantité de connaissances nutritionnelles que le concept de cuisine santé, qui date tout de même des années 1970, est devenu incontournable. Malheureusement, chacun abdique quand il faut traduire ce bon sens dans l’assiette. Par manque de volonté ou, tout simplement, par ignorance culinaire. Brillat-Savarin disait : « seul l’homme d’esprit sait manger ».
Pourtant, le Dr Jean-Marie Bourre (1), apôtre des omega-3 et surnommé le pourfendeur des végétariens, nous rappelle que « le repas doit nourrir en faisant plaisir ». Il considère tout simplement que : « L'obstination du léger est une erreur, il est inutile de bannir le gras et le sucré ». En cela il rejoint la façon de penser de beaucoup de grands chefs. Les vrais magiciens du fourneau, pas ceux de la pipette, de l’alchimie, les « fusionneurs » et leur courant réducteur.
Le concept de cuisine minceur a été initié par Michel Guérard, l'un des plus anciens chefs 3 étoiles de France. Inéluctable, quand on officie dans un restaurant de station thermale celui d’Eugénie-les-Bains. D’autres étoilés, parmi les plus grands, ont aussi été les premiers à se lancer. Joël Robuchon, Alain Senderens. Michel Bras, Jacques Le Divellec, ou encore André Gaüzère (2), en ont fait un art gastronomique incontournable.
Pour sa part, Thierry Marx (3), le chef du Mandarin Oriental, ne veut pas entendre parler de révolution culinaire, mais plutôt d’évolution calorique : « Nous travaillons la «cryoconcentration» du produit, notre carte est faite d’une cuisine bien-être. Au XVIe siècle, le sel conservait. On en est plus là. Et puis, poursuit-il, « la santé sort de l’univers fantasmé du cuisinier ». Il se méfie des campagnes des docteurs gourous. « Il n’y a pas pire que les interdictions. On ne va pas parler cuisine et cancer ! » dit-il, avant d’enchérir, « le plus grand danger c’est l’alliance du tube digestif et du tube cathodique ». Selon Marx, c’est la qualité d’un produit qui est nutritive, et pas la quantité : « On confond trop quantité et satiété. On ne peut plus être malade, la santé coûte cher. On réfléchit plus à l’acte de manger. Il faut bannir sa transformation avec du beurre et lier sans amidon ».
D’autres, consciemment ou inconsciemment, font une cuisine très inspirée par cette philosophie de bon sens. Comme Adeline Grattard et ses petits plats vapeurs arrosés de thé, qui fait une cuisine pleine de surprise. Yannick Delpech, à Coulommiers, qui fait recette chez les esthètes de la cuisine bien-être avec son saint-pierre au vert ainsi que son caviar bio des Pyrénées et sa sardine taillée au couteau.
À chacun sa recette
Anne-Sophie Pic, triplement étoilée à Valence et qui vient de recevoir une première étoile à Paris, fait tout pour que la cuisine reste « une source de plaisir avant tout sans altérer la santé pour autant ». Même si les techniques culinaires ont évolué. Pour elle, la règle d'or d'une alimentation santé reste « l’équilibre, une saine gestion des excès, le plaisir sans la culpabilité, l’envie de partager sans jamais oublier le produit et le bonheur de cuisiner pour les autres ». Anne-Sophie Pic ne parle pas de recettes minceur, plutôt de plats légers et sains, qu’ils soient à base de légumes, de poissons ou de viandes. «J’ai introduit de plus en plus de légumes dans mes menus, ce qui constitue un véritable challenge pour moi. Ainsi la carotte ou la betterave au travers de leur diversité ont donné naissance à des plats qui les subliment. »
À la carte de son restaurant de Valence, il faut goûter ses betteraves plurielles, à la texture fondante et crémeuse, au café Blue Mountain et acidulé d’épine-vinette, la fine gelée et mousseux à la carotte, coulant de yaourt à la fleur d’oranger et poivre de Voatsiperifery  ou le pigeon fermier, poché puis rôti accompagné de céleri et d’asperge verte de Mallemort à l’anis vert consommé cristallin légèrement fumé. « L’important c’est de trouver l’équilibre et de ne pas être dans la frustration », ajoute-t-elle.
Quant à Michel Guérard, il aime paraphraser Malraux : « La cuisine sera santé ou ne sera pas ». « Le Français y est très accroché, c’est à la fois un plaisir naturel et un bien social acquis. Par contre il faut éviter certaines mauvaises habitudes, tout en revisitant nos grands classiques pour maintenir les traditions », explique-t-il.
« Autrefois, pour faire une sauce on faisait une réduction de fumé de poisson, ensuite une réduction de crème puis une réduction de beurre. Maintenant on travaille les bouillons aromatiques, même pour remplacer l’huile des vinaigrettes. Le « fondateur de la nouvelle cuisine » innove toujours, avec l’ouverture de l’Institut qui portera son nom, au printemps prochain, à Eugénie-les-Bains. Une école de technique culinaire basée sur la diététique nutritionnelle et médicale. L’idée est de créer un master en cuisine santé basé sur la notion de diététique. Ainsi qu’un livre blanc sur cette cuisine. « Il faut former les cuisiniers du XXIe siècle. Aujourd’hui, personne ne leur apprend ces principes. »
Preuve de que l’influence de Guérard ne faiblit pas, la seule troisième étoile 2013 revient à Arnaud Donckele du restaurant de La Résidence de la Pinède, à Saint-Trop, un de ses nombreux disciples.
(1) Auteur de La chronodiététique, éd. Odile Jacob.
(2) La Grande Cuisine allégée. Éd. Flammarion.
(3) Bon !, coécrit avec Jean-Michel Cohen, éd. Flammarion.

Allons-y… 
André Gaüzère, Campagne et Gourmandise, avenue Alan Seeger, 64200 Biarritz. Tél. : 05 59 41 10 11.
Joël Robuchon, L’Atelier : 5 rue Montalembert, 75007 Paris. Tél. : 01 42 22 56 56.
Alain Senderens, La Table Senderens : 9 place de la Madeleine, 75008 Paris. Tél. : 01 42 65 22 90.
Michel Bras, route de l'Aubrac - 12210 laguiole. Tél. : 05 65 51 18 20.
Jacques Le Divellec, 107 rue de l'Université, esplanade des Invalides, 75007 Paris. Tél. : 01 45 51 91 96.
Anne-Sophie Pic, Maison Pic : 285 avenue Victor Hugo, 26000 Valence. Tél. : 04 75 44 15 32. La Dame de Pic : 20 Rue du Louvre, 75001 Paris. Tél. : 01 42 60 40 40.
Thierry Marx, Le Mandarin oriental : 251 rue Saint-Honoré, 75001 Paris. Tél. : 01 70 98 78 88.
Adeline Grattard, Yam’Tcha : 4, rue Sauval, 75 001 Paris. Tél. : 01 40 26 08 07.
Yannick Delpech, L’Amphitryon, chemin de Gramont, 31770 Colomiers. Tél. : 05 61 15 55 55.
Arnaud Donckele, La Vague d'or, plage de Bouillabaisse, 83990 Saint-Tropez. Tél. : 04 94 55 91 00.
Michel Guérard, Les prés d’Eugénie : 234 rue René Vielle, 40320 Eugénie-les-Bains. Tél. : 05 58 05 06 07.