mardi 2 décembre 2014

Gastronomie

Déjeuner au club



Goust, le restaurant d’Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004, a gagné sa première étoile en 2014.
À l’heure de la grande braderie sur le web, sur fond de crise, la restauration gastronomique n’est pas épargnée. Même si elle souffre moins que le reste. Devant toutes ces ristournes qui parfois jouent le rôle d’ultime bouée de sauvetage pour faire remonter une fréquentation en berne, quelques grandes maisons continuent à parier sur un accueil bienveillant pour leurs clients fidèles. Surtout sur des relations plus humaines, à l’instar du renommé Club de la Casserole de chez Lasserre.
Toujours est-il, que l’époque n’est plus au rond de serviette. Aujourd’hui, les habitués de bonnes tables se voient plutôt proposer des menus concoctés spécialement par des chefs qui veulent les choyer. Mais pas seulement, milles autres attentions s’y ajoutent souvent pour les mignarder.
Comment faire partie d’un de ces clubs de gastronomes souvent officieux ? Pour faire simple, quand votre nom revient souvent dans le grand livre des réservations, vous entrerez dans une autre dimension. Celle, très fermée, des privilégiés.
Chez Lasserre, donc, même si son fameux Club de la casserole fondé en 1948 est moins actif, le restaurant offre toujours aux nouveaux cercleux le fameux porte-clé à la petite casserole avec son doliprane à l’intérieur. L’heureux élu se verra alors remettre une fiche ou il notera ses préférences alimentaires, ses petites allergies... Aujourd’hui, l’un des avantages reste le menu déjeuner à 65 euros au lieu de 80 euros. Néanmoins, Lasserre songe à faire revivre cette tradition élitiste. Pour la petite histoire, le numéro 007 est celui de Roger Moore.
Quant à Apicius, il n’y a rien d’écrit. Au fond du parc, dans son célèbre hôtel particulier, Jean-Pierre Vigato reçoit sa clientèle d’habitués « comme à la maison ». Avant chaque service, le briefing passe en revue les réservations. Ensuite, vous serez victime d’une attention toute particulière. Au feeling, le chef viendra vous faire découvrir la première asperge ou « les petites bricoles du marché du jour » comme il appelle ses découvertes. Pour ces affiliés, pas de carte de membre, une succession de demi-plats se mettent à défiler sur la table et tout le monde s’en mêle. « Parfois un trophée de chasse déplumé de la veille traverse la salle avec son fumé de sous bois pour se poser devant un habitué », avoue un fédéré. Un mystère pour celui qui ne sait pas que Vigato est une fine gâchette. « Une affaire de passion pour le gibier et sa préparation », reconnaît le chef.
Pour sa part, Goust, le nouveau restaurant d’Enrico Bernardo, a déjà son club. Les clients le demandent. Cette table ne désemplit pas depuis son ouverture, dans un ancien palais parisien de style Napoléon III devenu le Centre d'Art et de Danse Elephant Paname. Le lieu est magique, y pénétrer donne déjà l’impression d’appartenir au gratin. Bernardo s’est fixé une limite, 500 bienheureux, pas un de plus. « Aujourd’hui, le plus dur est de fidéliser nos clients. Il faut inventer mille et une choses pour faire plaisir. C’est notre savoir-faire, concède le meilleur sommelier du monde 2004. Je leur organise huit soirées par an autour du vin, notamment sur les assemblages. »
Goust propose aussi un menu déjeuner tout compris à partir de 75 euros où vous pourrez goûter le riz de l’Albufera aux calamars et couteaux, air de citron de la vallée de la Huerta. La carte navigue entre la France et l’Espagne.
Le Louis XV, légendaire restaurant de la Riviera, à Monaco, a aussi son club. Beaucoup plus officieux. Ici aussi, on porte une attention toute particulière à ses membres. Le restaurant se montre prévenant en amont de manière très personnelle par un petit coup de fil, pour informer des dernières nouvelles ou annoncer l’arrivée des produits du printemps...
« Le personnel garde une trace de chaque menu, chaque numéro de table », révèle un habitué de longue date. Parfois, Alain Ducasse les convie au lancement d’un livre. Ou à un réveillon où il leur fait découvrir la cave de l’Hôtel de Paris, la plus grande cave à vins privée du monde. « Elle abrite plus de 500 000 bouteilles, sur 1500 m2 creusés à la main à quinze mètres de profondeur, dans le rocher. La princesse Grace aimait y diner au milieu des flacons mythiques », rappelle un maitre d’hôtel.
D’autres pistes existent, pour les amateurs de bonne table. Certains clubs hors établissement, comme Exclusive restaurants et le Club des plaisirs gourmands, à Lyon, donnent accès aux charmes cachés de ces grandes tables. Ils ont aussi leur prolongement sur la toile.
Le club lyonnais, qui veut faire découvrir la gastronomie de la « capitale mondiale de la gastronomie » comme l’appelait Curmousky, vous fera entrer dans le cercle des meilleurs clients de l'Auberge de L'Île avec une remise de 55 euros sur le deuxième menu déjeuner à 125 euros. Cette superbe bâtisse de l’ile Barde du XVIIe aurait, dit-on, abrité Durandal, l’épée de Roland de Roncevaux. L’esprit de cette lame guide sûrement le savoir-faire de Jean-Christophe Ansanay-Alex, quand il tranche sa pièce de bœuf « wagyu » lentement maturée. Le chef de ce deux macarons, qui crée des recettes classiques avec une touche contemporaine appuyée en harmonie avec l'endroit, se définit comme un artisan « qui refait tous les matins de bonne heure jusqu’à tard les mêmes gestes ». Question d’outil certainement.
Ironie du sort, certaines grandes maisons passent malgré tout par les sites de réservation avec rabais et ristournes. Mais elles proposeront toujours à leurs meilleurs clients des menus privilèges plus avantageux. Et plein de petites attentions qui flattent l’égo des plus coriaces.

Allons-y
CHEZ LASSERRE 17, avenue Franklin-D.-Roosevelt, Paris 8e.
APICIUS 20, rue d’Artois, Paris 8e.
GOUST 10, rue Volney, Paris 2e.
LOUIS XV Place du Casino, Monaco.
L'AUBERGE DE L'ÎLE Pont de l'Île Barbe, Lyon 9e.